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Posts Tagged ‘romans noirs’

Un roman de Brandon Sanderson publié au Livre de poche.

Il fait suite à la novella Légion.

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Présentation de l’éditeur :
Stephen Leeds, surnommé « Légion », est un homme aux capacités mentales singulières lui permettant de générer une multitude d’avatars : des hallucinations aux caractéristiques individuelles variées et possédant une vaste gamme de compétences très spécifiques. Leeds est investi d’une nouvelle mission : retrouver un corps qui a été dérobé à la morgue locale. Il ne s’agit pas de n’importe qui. Le cadavre est celui d’un pionnier dans le domaine de la biotechnologie expérimentale, un homme qui travaillait sur l’usage du corps humain en tant qu’espace de stockage. Il se peut qu’avant sa mort il ait incorporé des données dans ses propres cellules. Ce qui pourrait se révéler dangereux…

« Je déteste les coïncidences. La vie est beaucoup plus simple quand on peut partir du principe que tout le monde essaie de vous tuer. »

Quelques mois auparavant, j’ai dévoré Légion, une novella de Brandon Sanderson entre le thriller, le fantastique et la SF. J’ai trouvé l’idée de départ excellente : Stephen Leeds est un génie, il apprend à une vitesse incroyable, mais sa façon de gérer son extraordinaire intelligence est un peu particulière. Son esprit se compartimente et crée diverses personnalités, il ne les endosse pas tour à tour, elles évoluent autour de lui telles des hallucinations. Il sait qu’elles ne sont pas réelles, que ce sont juste des aspects de lui-même à qui il prête certaines de ses capacités pour, très paradoxalement, rester sain d’esprit. Stephen est stable et lucide, mais on sent bien que ça n’a pas toujours été le cas.
Ce personnage est passionnant. J’ai eu un coup de cœur pour lui et cela n’a fait que se confirmer dans Légion, à fleur de peau. Je ne savais pas trop quand se situerait ce court roman par rapport à la novella précédente. J’étais tellement heureuse de retrouver si vite Stephen et ses aspects que, suite ou préquelle, peu m’importait. Or, il se trouve que c’est une suite, elle permet d’approfondir l’évolution du personnage après les événements de la novella, mais son mystérieux passé n’est encore une fois qu’évoqué. Elle peut se lire indépendamment, néanmoins je conseille quand même de commencer par la novella pour bien cerner le personnage et ses aspects.
Légion, à fleur de peau se lit très vite, les chapitres sont courts et l’intrigue prenante. Sanderson laisse place à l’action et aux dialogues. Les rares descriptions sont aussi précises que concises, on se concentre sur l’essentiel. Comme Stephen, le lecteur cherche avant tout à résoudre l’énigme. La possibilité de pouvoir soi-même débrouiller l’intrigue est selon moi la condition indispensable à un polar réussi.
L’auteur nous emmène encore une fois à la croisée des genres, entre le roman noir et la science-fiction. Il est ici question de manipulations génétiques et biochimiques. J’ai préféré l’aspect polar du récit, mais la réflexion scientifique qui se trouve être le nœud de l’intrigue ne manque pas d’intérêt. Je n’y ai pas vraiment cru, cependant elle donne à réfléchir et reste vraisemblable dans le contexte.
En périphérie de l’enquête, on se rend compte que les aspects de Stephen évoluent, ainsi que sa relation avec eux. On retrouve l’inénarrable J.C. – qui m’a bien fait rire – Ivy, Audrey et quelques autres. Ce que l’on avait pu comprendre de la psyché de Stephen s’affine davantage dans ce texte, mais pose aussi de nouvelles questions. J’ai hâte d’en savoir plus à ce sujet, mais également sur le mystérieux passé du personnage, notamment sur Sandra et Ignacio.
Je crains qu’il faille attendre un moment pour découvrir d’autres textes dans l’univers de Légion, mais si vous aimez les thrillers paranormaux bien ficelés, vous ne pouvez pas passer à côté de cette série géniale.

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Cette lecture compte pour le challenge SFFF et diversité dans la catégorie suivante :
– Un livre SFFF traduit

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Un roman de Damien Snyers, publié chez ActuSF.

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Présentation de l’éditeur :

Pour vivre, certains choisissent la facilité. Un boulot peinard, un quotidien pépère. Humains, elfes, demis… Tous les mêmes. Mais très peu pour moi. Alors quand on m’a proposé ce contrat juteux, je n’avais aucune raison de refuser. Même si je me doutais que ce n’était pas qu’une simple pierre précieuse à dérober. Même si le montant de la récompense était plus que louche. Même si le bracelet qu’on m’a gentiment offert de force risque bien de m’éparpiller dans toute la ville. Comme un bleu, j’ai sauté à pieds joints dans le piège. L’amour du risque, je vous dis. Enfin… c’est pas tout ça, mais j’ai une vie à sauver. La mienne.

Damien Snyers est un jeune auteur belge. Il signe avec La Stratégie des as un premier roman nerveux, mélange réussi de fantasy et de steampunk, dans la plus pure tradition des films de casse.

Roman de Fantasy autant que d’aventures, La Stratégie des as nous offre une histoire de voleurs comme on les aime. On a des personnages pleins de ressources, une pierre précieuse à la réputation magique, des plans ingénieux, des méchants particulièrement sournois et du suspense. Que demander de plus ?
James est un elfe sans le moindre scrupule. Il vit de petites arnaques et de vols sans grande envergure avec ses acolytes, jusqu’à ce qu’on leur propose un coup qui pourrait changer leur vie. D’emblée, James se laisse séduire par la rétribution pécuniaire et s’engage sans même demander l’avis de ses complices. Il aime le risque, seulement ce travail va se révéler bien plus dangereux et délicat que prévu. C’est un plaisir de suivre tous les préparatifs du vol, autant que de voir se dévoiler petit à petit ce qui se trame dans l’ombre.
Les personnages sont vraiment intéressants. Si James est celui qu’on apprend le mieux à connaître, étant donné qu’il est le narrateur, il distille suffisamment d’informations sur ses compagnons pour qu’on comprenne leur situation. On se rend vite compte que Jorg et Élise n’ont pas eu trop de chance dans leur vie ni la possibilité de faire beaucoup de choix. Cependant, James est différent. Tous assument leur vie de criminels, mais lui semble en outre l’apprécier. Il est arrogant, égoïste, pourtant on se prend à l’aimer, à vouloir qu’il gagne, car l’affection qu’il porte à ses amis laisse entrevoir un peu de bonté dans sa personnalité retorse.
Ce roman se lit très vite, il est certes court, mais surtout très agréable. Même pendant la préparation du vol, on ne s’ennuie pas, bien au contraire. Et puis James est un narrateur à la parole vive, son franc-parler le rend attachant. J’ai aussi beaucoup aimé les titres des chapitres pastichant des œuvres célèbres. C’est le genre de détails qui m’amuse et me séduit toujours.
Par contre, la quatrième de couverture nous promet un peu de Steampunk, or je le trouve très anecdotique. On se rend compte bien vite qu’on est en terrain uchronique, toutefois ce n’est qu’un décor de fond, pas du tout exploré. C’est dommage, ce monde semble vraiment très différent du nôtre, malgré des mythes religieux communs. J’aurais bien voulu savoir ce qui l’a fait diverger à ce point… Ceci dit, malgré la curiosité que cela éveille, l’intrigue ne souffre pas de ce manque d’informations.
Les derniers chapitres sont chargés de suspense et d’adrénaline. J’ai adoré cette fin. Cependant, l’auteur n’en reste pas là et nous propose ensuite une nouvelle concernant un personnage que l’on a rencontré en cours de route. Il n’y avait pas de place dans le roman pour l’histoire de Mila, mais j’ai été ravie de pouvoir la connaître, savoir comment elle-même s’était trouvée embringuer dans cette histoire. Ce bonus est particulièrement bien vu.
La Stratégie des as est un chouette roman, une belle découverte. J’aurais volontiers passé un peu plus de temps dans cet univers.

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Cette lecture compte pour le challenge SFFF et diversité dans la catégorie suivante :
– Lire une œuvre de SF ou Fantasy ou Fantastique (SFFF) francophone mais non française.

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Un roman feuilleton de Fabien Clavel, publié chez ActuSF.

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Paris, 1872. On retrouve dans une ruelle sombre le cadavre atrocement mutilé d’une prostituée, premier d’une longue série de meurtres aux résonances ésotériques. Enquêteur atypique, à l’âme mutilée par son passé et au corps d’obèse, l’inspecteur Ragon n’a pour seule arme contre ces crimes que sa sagacité et sa gargantuesque culture littéraire.

À la croisée des feuilletons du XIXe et des séries télévisées modernes, Feuillets de cuivre nous entraîne dans des Mystères de Paris steampunk où le mal le dispute au pervers, avec parfois l’éclaircie d’un esprit bienveillant… vite terni. Si une bibliothèque est une âme de cuir et de papier, Feuillets de cuivre est sans aucun doute une œuvre d’encre et de sang.

Peut-être avez-vous déjà croisé Ragon, notamment dans l’anthologie steampunk des éditions du Chat Noir : Montres Enchantées. Avec Feuillets de cuivre, nous avons enfin l’occasion de le connaître davantage, en le suivant du début de sa carrière jusqu’à la toute fin de celle-ci. Homme brillant, féru de littérature, intuitif mais méthodique, mesuré mais prompt à la compassion, Ragon est un personnage très attachant. Son corps le trahit d’une façon qui prend tout son sens à mesure qu’on apprend qui se cache derrière ce policier simple et complexe à la fois. Si les enquêtes intriguent le lecteur et gagnent en intensité au fur et à mesure, il en va de même pour l’intérêt envers le personnage lui-même.
Ragon est de loin mon préféré, mais les personnages secondaires ne sont pas pour autant transparents. Ils apportent beaucoup au récit. J’ai adoré Zehnacker et Fredouille. Le grand méchant de l’histoire, quant à lui, n’est pas si prévisible qu’on pourrait le croire, même si l’auteur distille des indices permettant de le reconnaître et de comprendre ses motivations.
Ce roman puzzle, auquel le lecteur est invité à participer activement, est divisé en deux parties. La première regroupe dans l’ordre chronologique les enquêtes les plus marquantes de la carrière de Ragon. La seconde voit la révélation de sa Némésis et, au travers de nouvelles enquêtes, la poursuite de celle-ci. La construction de l’ouvrage est intéressante et m’a beaucoup plu. La trame se complexifie à mesure et happe le lecteur.
Feuillets de cuivre est un roman feuilleton, entre le steampunk et le polar. C’est de la littérature populaire de grande qualité. Il prend la forme d’un fix up. Il est composé de textes qui s’apparentent à des nouvelles, mais sont liés. Les pistes se croisent, se rejoignent… Ces intrigues imbriquées impliquent le lecteur et l’incitent à poser ses propres hypothèses pour, peut-être, prendre le héros de vitesse.
Ragon est un érudit, il résout ses enquêtes grâce aux livres. Cela est d’autant plus prégnant dans la seconde partie car son ennemi juré a choisi de le défier sur son propre terrain. Cela nous donne un texte d’une grande intelligence, empli de références littéraires ou culturelles. Mais si vous ne les possédez pas toutes, cela ne vous empêchera pas d’apprécier cette lecture et de suivre l’enquête.
L’ambiance steampunk est peu marquée, c’est le polar qui domine, mais une technologie alternative, ainsi que de la magie font tout de même des incursions dans le scénario. Cela est justement dosé et jamais au détriment de la cohérence. Dans Feuillets de cuivre on ne résout pas les énigmes sans réflexion, juste en claquant des doigts ou en utilisant le surnaturel comme explication standard déracinée de tout mobile ou logique. En tant que lectrice, c’est quelque chose que j’apprécie particulièrement.
Pour terminer sur une note un peu futile, j’ajouterai que l’objet-livre est superbe et fait un peu old school. La couverture est cartonnée et agréable au toucher, le titre cuivré. On se sent dans l’ambiance avant même de l’ouvrir. C’est peut-être de l’ordre du détail, mais cela possède indéniablement un certain charme. Feuillets de cuivre fut une excellente lecture.

D’autres avis sur :
Un papillon dans la lune
La magie des mots

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CRAAA

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Un roman d’Esther Brassac, publié aux éditions du Chat Noir.

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par la grace des sans noms

Présentation de l’éditeur :
Mars 1890.
Voilà près de vingt ans que la guerre franco-prussienne est terminée. Le canon hypersyntrophonique utilisé par Napoléon III a assuré une victoire retentissante au goût pourtant amer. Les retombées de l’arme monstrueuse ont causé des millions de morts à la surface de la Terre, détruisant également la faune par une lèpre incurable tandis que la végétation mourait peu à peu. Grâce à l’intelligence des scientifiques autant qu’au pouvoir des enchanteurs, un dôme de trois mille six cents kilomètres carrés a été construit, permettant de sauvegarder une zone du sud-ouest de la France, le Royaume garonnais.
Alors que tout espoir de voir la vie renaître au-delà de la frontière artificielle est perdu, des crimes en série abjects sont perpétrés dans la cité tolossayne. Le préfet charge un fin limier, Oksibure, spectre coincé entre le monde des vivants et celui des morts, de résoudre cette terrible affaire.
Au même moment, Aldebrand loue une maison dans le centre de la cité pour y résider quelques mois avec ses amis : Cropityore, un incube de dix-huit mille ans et Katherine de Clair-Morange, humaine récemment transformée en vampire en raison d’une vieille malédiction. Tous trois désirent créer un album gothique pour le compte d’une prestigieuse maison d’édition. Bien qu’il soit à la recherche de sa jumelle disparue dans d’étranges circonstances, Aldebrand va devoir aider Katherine à assumer les pénibles répercussions de sa métamorphose. Tout au moins, croit-il que ce sont là des problèmes bien suffisants à assumer. Il est loin d’imaginer que la demeure louée va bientôt concrétiser des cauchemars plus terribles encore.

Si l’on doit bien reconnaître une qualité à Esther Brassac, c’est son imagination débordante. J’ai pris grand plaisir à découvrir ce roman qui sort résolument de tout ce que j’ai pu lire en Steampunk ces derniers temps. L’intrigue est complexe, toute en circonvolutions et rebondissements, on ne risque pas de s’ennuyer avec ce thriller ni de deviner trop tôt où l’auteur veut nous conduire. Disons-le franchement : ça change !
Dès le départ, le roman se scinde en deux histoires distinctes et l’on ne sait avec certitude si elles sont vouées ou non à se rejoindre. On évolue dans un petit espace clos, le royaume garonnais, alors que le reste du monde a été détruit suite à l’usage d’une arme particulièrement dévastatrice lors de la guerre contre les Prussiens. Grâce aux enchanteurs et aux scientifiques vampires, une fraction infime de la population, qui comprend des humains mais aussi des créatures magiques, a été sauvée et confinée sous un dôme protecteur. Les animaux survivants, atteints d’une lèpre incurable, ont été modifiés génétiquement et en partie mécanisés. La végétation, quant à elle, doit son salut à d’étranges entités qui évoluent sur un autre plan : les Sans Noms.
Alors que les Garonnais tentent depuis une vingtaine d’années d’oublier leur traumatisme et de vivre normalement, d’abominables meurtres viennent menacer leur fragile équilibre. C’est Oksibure, spectre détective, qui se voit chargé de l’affaire. Pendant ce temps-là, des artistes commencent l’élaboration d’un ouvrage sur les créatures magiques… Les affaires sont-elles liées ?
L’atmosphère sombre et mystérieuse de ce thriller est vraiment très prenante. On se laisse facilement entraîner, apprenant au fur et à mesure les secrets de ce royaume enclavé, dernier bastion de vie sur terre. Les personnages sont plaisants, j’ai beaucoup aimé Oksibure et sa flammèche, ainsi que Katherine, vampire qui se débat avec sa malédiction familiale. Cropityore l’incube est délicieusement caricatural, c’est ce qui fait son charme. J’ai été moins séduite par Aldebrand, qui atermoie beaucoup comme le dandy romantique qu’il est mais demeure malgré tout sympathique… Tous ces personnages sont hauts en couleur, crédibles et parfois même attachants.
Par la grâce des Sans Noms est un long roman, consistant, fascinant et surtout très bien écrit, malgré quelques coquilles. Le style élégant, un peu désuet, convient parfaitement à ce genre de récit et l’auteur sait ménager son suspense. Elle bouscule son lecteur, pique sa curiosité sans la satisfaire tout de suite. C’est un peu cruel, mais très bien mené.
J’ai été moins emballée par le dernier quart. J’avais découvert où j’allais, cela ne me gênait pas mais quelques invraisemblances et détours un peu longuets ont légèrement émoussé mon enthousiasme. Je n’ai pas été spécialement conquise par la fin, qui pourtant ne manque pas de panache. L’auteur a néanmoins évité les facilités pendant une bonne partie du roman et ça reste une excellente lecture.
La part steampunk de ce récit est originale, pas seulement un choix esthétique, mais c’est surtout un bon polar fantastique. Les plus exigeants apprécieront le goût du détail et l’intrigue bien ficelée.

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Un roman de Jeanne-A Debats, initialement publié chez Ad Astra et maintenant repris en papier et numérique par les éditions ActuSF.

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Présentation de l’éditeur :

“C’est mon travail de traquer les monstres. J’en ai connu beaucoup, brièvement. Ils étaient tous humains à la base. »

Navarre, alias Raphaël, est un vampire vieux de plusieurs siècles, terriblement beau, joyeusement bisexuel et surtout un assassin redoutable à la solde du Vatican. Pour sa nouvelle mission, il est envoyé au Brésil sur les traces d’un ancien nazi. Mais, entre les divinités locales et la chaleur du Carnaval, la chasse ne s’annonce pas de tout repos… d’autant qu’il se retrouve accompagné d’un prêtre, au dogme laxiste, et d’une autre créature de la nuit, Dana, particulièrement attirante.
Rythmé, drôle, étonnant, osé… Dans la lignée de L’Héritière, Jeanne-A Debats, avec Métaphysique du vampire, réinvente le roman vampirique pour mieux nous faire s’interroger sur la notion d’humanité.

Jouant avec les codes de la science fiction et du fantastique, Jeanne-A Debats est désormais une voix importante des littératures de l’imaginaire en France. Son œuvre interpelle, distrait et fait réfléchir, avec toujours des personnages hauts en couleur, de La Vieille Anglaise et le continent à Plaguers en passant pour les plus jeunes par La Ballade de Trash. Cette édition contient en prime les nouvelles « Lance », « La Fontaine aux serpents » et « Ovogenèse du vampire ».

Peut-être avez-vous déjà croisé Navarre au détour d’une anthologie, dans le roman L’Héritière également paru aux éditions ActuSF, ou même dans la précédente version de Métaphysique du vampire publiée chez Ad Astra. S’il est apparu dans de nombreuses nouvelles, Métaphysique du vampire est pour l’instant le seul roman dont il est le personnage central et l’intrigue se déroule à l’époque où il travaillait encore pour le Vatican en tant qu’espion et assassin.
« Pour vivre heureux et immortels, vivons stupides » telle est sa devise. Sauf qu’il n’est pas vraiment stupide, il essaie simplement de ne pas gamberger, ce qui n’est pas évident après cinq cents ans d’existence. En cela, il est un vampire très crédible et tranche avec ses congénères, à l’ère où ceux-ci tendent à devenir de plus en plus lisses et propres sur eux, aussi plats et froids que des photos de magazines. De roman en roman, ils se ressemblent tous, très loin du vampire d’origine qui symbolisait la transgression.
Je suis persuadée qu’on ne pourrait pas survivre tant de temps, avec un cerveau humain malgré tout, sans une certaine dose de dinguerie et qu’il n’y a pas d’autre moyen que d’apprendre à la gérer avec des manies, des troubles de l’attention ou une superficialité exagérée. C’est ce qui peut paradoxalement permettre de supporter toutes les informations qu’on engrange, ces nouvelles choses que l’on doit apprendre. Même le sommeil fait défaut à Navarre, son esprit ne se repose jamais, il y a là de quoi définitivement lâcher la rampe à la première occasion.
J’ai beaucoup aimé cette façon d’envisager le vampire et j’ai trouvé un certain intérêt à la manière dont l’auteur intègre les différents panthéons à sa mythologie personnelle, à la construction de son background et aux différentes magies présentes. Métaphysique du vampire est un roman d’urban fantasy sortant résolument de l’ordinaire, tenant en grande partie du polar à l’ancienne. Il faut dire que l’époque à laquelle se passe l’histoire se prête particulièrement à ce métissage des genres. Ce roman rappelle un peu James Bond, mais en prenant à contre-pied presque tout ce qui fait les aventures du personnage.
Comme Navarre est le narrateur, qu’il est relativement égocentrique et qu’en plus le roman est fort court, les personnages secondaires sont peu développés, mais pas laissés de côté. Ils sont présents juste ce qu’il faut. Bien évidemment, notre vampire est au centre de l’histoire et se révèle être un personnage attachant malgré son détestable caractère. Arrogant, un brin capricieux et puéril, égoïste et solitaire, il cache son humanité derrière ces défauts pour mieux survivre au temps qui passe. Il a une tendance prononcée à la digression et aux bavardages futiles qui nous font sentir qu’il se promène sur un fil ténu, pouvant basculer à tout moment, prisonnier de son propre esprit et parfois même de celui des autres, car Navarre a un don très spécial qui lui vaut autant d’ennuis que de facilités dans son travail. Il est en outre très lucide, peu complaisant envers lui-même comme envers autrui, ses défauts sont parfaitement assumés. Aussi cynique que sarcastique, son humour et sa gouaille le rendent très plaisant à suivre.
L’histoire en elle-même est excellente et bourrée d’action. Même si elle se révèle un peu prévisible, cela n’a guère d’importance car on se laisse très vite emporter et le tout est extrêmement bien construit. C’est un récit qui, sous des dehors de littérature de divertissement, donne à réfléchir, notamment sur les notions d’humanité et de monstruosité. Ce thème, qui revient souvent avec ce personnage, me touche particulièrement.
Du point de vue de la forme, la narration selon Navarre est aussi très intéressante et originale car l’histoire n’est pas découpée en chapitres et ne connaît que très peu d’interruptions. On la suit d’un bout à l’autre, comme ce vampire qui ne dort jamais réellement. Ça colle parfaitement avec le personnage, pour lui cette aventure dans son ensemble n’est qu’un court chapitre de plus dans sa très longue vie. En théorie, l’idée est vraiment très séduisante et je l’ai appréciée car elle renforce la crédibilité du récit, mais en pratique ce procédé peut se révéler étonnamment lourd à la lecture. J’ai peut-être ressenti les choses ainsi parce que j’étais fatiguée quand j’ai lu ce texte et donc sujette aux troubles de l’attention. Dans ces cas-là, les chapitres courts me donnent l’impression de me reposer, même si je lis autant et sans réelle interruption que je l’ai fait avec Métaphysique du vampire. Le fait que le roman soit court a donc été un avantage dans ce cas précis. Comme quoi, on s’attache parfois beaucoup aux détails… En tout cas, ça m’a permis de mieux comprendre la façon dont Navarre vivait cette fatigue mentale qui s’accumule.
Ambigu, égotique, d’une délicieuse mauvaise foi, ce vampire est un personnage aussi exaspérant que charismatique. Je l’apprécie pour cette conscience qu’il a d’être un monstre, sans s’apitoyer sur son sort. Il est nuancé, s’embarrasse peu de morale, et ses choix peuvent aussi bien se révéler nobles qu’égoïstes et mesquins. En un mot, ce monstre ordinaire est très humain.

Avec cette nouvelle édition au sein de la collection poche des Indés de l’imaginaire, on perd certes la jolie couverture de Rozenn qui ornait l’ancienne version, mais on gagne trois excellentes nouvelles publiées au préalable dans des revues et anthologies.
Lance dépoussière avec verve et humour les récits classiques de dragons et princesses. Elle allie joyeusement légende arthurienne, troubles européens du début du XXe siècle et des thèmes restés malheureusement très actuels. Ce fut une lecture très distrayante.
Dans Ovogenèse du vampire, on retrouve, entre autres, un personnage présent dans L’Héritière (l’un de mes préférés, je l’avoue, ce qui ne fait qu’attiser mon envie de lire la suite) et c’est l’occasion pour Navarre de faire un petit voyage dans le temps. Ce texte relativement court est néanmoins très plaisant.
Enfin, c’est dans l’espace que Navarre devra exercer ses talents d’enquêteur. La Fontaine aux serpents, aux implications riches et complexes, est mon texte préféré.
Il est toujours difficile d’évoquer des nouvelles, de trouver les mots justes sans trop en dire. Quoi qu’il en soit, celles-ci valent le détour.
Cependant, ces découvertes ou relectures m’amènent à une interrogation. Malgré mon goût de la traque et ma joie quand j’en découvre une au hasard d’une anthologie, je me pose quand même la question : à quand un recueil de toutes les nouvelles concernant Navarre ?

Si vous avez aimé L’Héritière, je sais que vous ne manquerez pas cet ouvrage. Sinon, pour peu que vous cherchiez un roman d’urban fantasy qui sort de l’ordinaire, foncez chez votre libraire vous procurer Métaphysique du vampire qui, j’en suis certaine, vous offrira un très bon moment de lecture. Il peut se lire comme un stand-alone, mais vous donnera sans doute envie d’en savoir beaucoup plus sur son énigmatique narrateur.

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